Jormungand, je me demande si un jour je ne vais pas finir comme lui ; coincé sur Terre à attendre qu'un dieu ne vienne me tuer pour avoir pris parti pour le mauvais camp.
Peut-être que ce sera Haber, quand un jour il se sera lassé de mes mauvais sangs et de ma haine de l'Amérique, un coup de chevrotine super-magnum qui me déchirera le torse, brisera le garde fou du paquebot et m'enverra au fond de l'eau. Je regarderai une dernière fois le ciel, mon visage à la surface et tentant d'agripper les nuages comme j'avais pu le faire lorsque j'étais au service du lys.
Puis mon assassin fera une dizaine de pas avant de se rendre compte que j'ai déteint sur lui, et que le poison de mon esprit l'aura contaminé, à ce moment là il sera devenu lui aussi un des dragons que nous nous évertuons à chasser.
A trop regarder le fond de l'abysse, celle-ci finit par nous dévisager en retour, j'ai l'impression de toiser un miroir lorsque je m'attarde un peu trop à observer la fosse des Mariannes.
Ou peut-être que je délire, que la fièvre me rend fou et qu'en délirant à cause de l'irradiation aiguë que j'ai subi en retapant la pile à fusion nucléaire du bateau. Ce que j'écris n'est alors qu'un songe dans mes mémoires, quand je ne suis pas en train de serrer la jambe de Johanna à côté de moi, en train d'éponger mon front brûlant avec une serviette froide. Pendant que j'agonise mon instinct de survie d'injures, pour ne pas m'avoir prévenu que c'était une mauvaise idée.
-C'est beau. Mais ça ne lui était pas destinée.
Johanna n'est pas censée lire mes écrits délirants, même si à sa décharge je ne suis pas censé les laisser sur son plan de travail dans la précipitation d'une bagarre. Je m'étire, abandonnant le fusil à verrou que je suis censé restaurer pour la contempler du regard. Elle a un petit sourire avant de me demander de détourner le regard, ce que je fais sans attendre, espérant la vexer.
-Eeehh! Gagné. J'ai fait quelque chose de mal.
-Oui, tu... Ça sonne.
C'est lui.
J'abandonne mon début de flirt pas innocent du tout avec Johanna pour me traîner jusqu'à la porte, enjambant les câbles, contournant les armoires à armes et les caisses de munitions pour ouvrir la porte qui, comme toujours, est piégée.
Je désarme la claymore qui protège l'entrée et ouvre. C'est bien lui.
-Haber.
-Haberstein? Grogne Hans qui somnolait à son établit, plus occupé à récupérer de son safari d'hier que de vraiment bosser sur les munitions. Bordel. L'Enclavée de Raven's rock qui se traînait en Louisiane PUIS avec nous s'est aussi incrusté au Texas? ScheiB.
Je m'écarte du pas de la porte, l'invitant à entrer d'un signe de main. L'Allemand ne se fait pas prier pour ramener sortir l'alcool, on se pose tous à une table, Johanna pose sa tête contre mon épaule et le facho ramène des pintes, vides.
-Bordel Hans, je t'avais pas demandé de sortir la girafe de six litres.
-Trop tard.
Il se pose à une extrémité de table tandis que moi et Haber nous faisons face. J'hésite un peu sur comment signifier nos retrouvailles.
Haber, mon pote, on a des tas de choses à se dire! Trop convenu.
Tu reviens après tant de temps, et même pas de fleurs. On était pas homosex.
Nous allons pouvoir reformer la très sainte confrérie des bros. Johanna est à côté de moi ça va être bizarre.
-Euh... J'essaie de trouver un truc cool.
T'as besoin que je retape encore ta X01? C'est plus que mon meilleur client.
Tu t'es lassé de la France finalement? Moi on m'a ordonné d'aller coloniser le Texas au nom de la France qui se remet déjà debout, on s'est fait moins nucléarisé nous. Nan, hors sujet.
-J'ai entendu dire que si tu t'es enfui de France avec moi, c'est parce qu'il y a eu une dispute entre toi et Erika, que t'as dis le mot de trop et que t'avais trop la trouille de croiser Dreyse. J'hausse les épaules. Bah... Je vais rien dire, à une époque, avant que tu me connaisses, j'avais fait une remarque assez subtil sur ses seins en présence du mutant. Il m'a foutu une de ses torgnoles, j'ai perdu deux crans d'endurance d'un coup. Bah. Voilà voilà, épopée de dingue non? J'ai l'impression que le Texas me pompe toutes mes forces. J'ai des regrets de la Louisiane quand même.